La musique.

La chanteuse hongroise Zsuzsa Koncz. Cet album de 1972 est magnifique.

Je n'ai appris qu'aujourd'hui la mort de mon artiste brésilienne préférée, le 9 novembre dernier à l'âge de 77 ans: la belle et unique Gal Costa.

Qu'elle se rassure: son art l'a rendue immortelle. Et on l'en remercie, elle et ses amis musiciens, de nous avoir offert ces joyaux.

C'est moi où l'hécatombe 2022 est particulièrement lourde?

Ronnie Spector (Ronettes), Meat Loaf, Elza Soares, Betty Davis, Dallas Good (The Sadies), Mark Lanegan, Gary Brooker (Procol Harum), Taylor Hawkins (Foo Fighters), Arno, Régine, Vangelis, Andrew Fletcher (Depeche Mode), Julee Cruise, Dani, Olivia Newton-John, Irene Papas, Pharoah Sanders, Loretta Lynn, Jerry Lee Lewis, Mimi Parker (Low), Gal Costa, Keith Levene (PiL), Wilko Johnson (Dr Feelgood), Irene Cara, Christine McVie (Fleetwood Mac)...

Stooooop! pale

Ci-dessous, Gal Costa présentée par Tom Zé... document magique

Génial.

Brillant. Le Pacific 231 était une locomotive.

Le contraste entre la chanson postée ci-dessus, du Velvet Underground qui est mon groupe de rock préféré, et la chanson ci-dessous, dont je suis tombé amoureux l'été de mes douze ans, illustre je crois assez bien la variété des facettes d'un être humain, capable d'aimer des choses très différentes, et dont il est difficile de cataloguer les goûts. Ceci me conforte dans l'idée que tout individu est multiple.

Bien sûr, mes goûts ont bien évolué depuis mes douze ans, et ma mémoire a probablement occulté des trucs que je devais aimer beaucoup à cet âge que je n'aime plus du tout aujourd'hui. Ceci étant dit, je chantais "Marguerite" à tue-tête pendant tout l'été 81, en juillet-août, et connaissais les paroles par coeur. Ceci s'attache aussi à un changement de décor puisque j'étais alors en vacances chez mon père en provence. Donc ce n'est pas pour moi un souvenir anodin. Il m'est arrivé de repasser cette chanson sur YouTube ces dernières années et j'avoue que j'avais du mal à ré-accrocher, car je trouvais ça trop sentimental, emphatique, et les paroles faibles, voire ridicules. Et puis là, ce matin, boum, c'est revenu. Il m'est revenu de plein fouet le pourquoi de mon amour pour cette chanson, qui n'est en fait pas une chanson, mais un souffle. Il aide d'avoir douze ans et de n'avoir qu'un accès irrationnel aux paroles (qui sont d'ailleurs confusément traduites d'une version originale italienne - il est d'ailleurs à noter que dans l'album, il y a une autre chanson qui dit "je mourirai" dans le texte, c'est vous dire).

Curieusement c'est avec cette vidéo qui met carrément les paroles dessus que je parviens à en faire abstraction à nouveau, pour n'être alors conquis que par cette musique, comme ce fut le cas pour mes douze ans. Les paroles ne semblent qu'illustrer cette musique ou en suivre les marches. Cette musique est essentiellement romantique, avec des vagues qui montent et descendent. C'est juste un remous. Il y a cette orchestration qui dès le début tapisse une sorte de volupté, de chaleur, de douceur, une sorte de caresse. C'est lustré, texturé, comme une puissance retenue, comme un souffle qui inspire avant d'expulser une harmonie. Comme si la composition n'avait pas de structure, n'était qu'un océan de plusieurs vagues en latence. Il se trouve que la voix cassée de Cocciante épouse cette orchestration à merveille pour ne faire qu'un. Il se trouve que cette chanson n'est qu'un soupir, un état d'âme. Il se trouve que l'orchestration seule, ce tapis sonore, est imprégnée de souvenirs, d'émotion, de nostalgie, de mélancolie, de choses qui remuent, et se déroule comme un flux sans jamais perdre de son volume ondulant. La voix cassée de Cocciante a quelque chose d'incandescent, avec la cendre qui va avec, donc quelque chose qui se brûle autant qu'il brûle. C'est perforant et perforé. C'est un peu une voix de Don Quichotte. On entendrait presque le feu de cheminée qui crépite durant cette orchestration océanique.

L'autre truc évidemment, c'est le romantisme éperdu et une idéalisation de la femme qui symbolise l'amour. Qui en dit peut-être long sur le garçon de douze ans que je fus, ou pas. J'ignore si j'idéalisais la femme ou si j'avais un idéal féminin à douze ans, ou si j'étais juste réceptif à ce qu'il m'était donné d'entendre ou découvrir. Mais il va de soi que la femme m'a toujours paru comme comme quelque chose de beau et d'attirant, voire comme la chose la plus belle qui soit, mais aussi quelque chose dont je me méfiais inconsciemment. Quand j'étais enfant je disais souvent que je voulais être célibataire, ce qui signifie donc que mon idéal s'entrevoyait davantage dans la solitude et la rêverie que le mariage. Je n'ai en fait jamais rêvé de me marier, de vivre avec une femme ni d'avoir des enfants ou une famille. Jamais. MAIS j'étais pourtant indubitablement romantique, de sensibilité. J'étais réceptif aux harmonies, aux souffles, aux caresses, aux transports. Peut-être rêvais-je d'une âme soeur, d'une sorte de femme qui n'existe pas, avec laquelle je ne vivrais que dans les rêves. Ou peut-être rêvais-je d'avoir moi-même un corps de femme, puisque le corps de la femme me parle, se communique à moi comme quelque chose qui m'est prédestiné.

Je n'ai jamais aimé le passage où Cocciante dit "ne sait pas qu'elle peut me faire maaaaal"... mais ceci se fond dans un tout. A douze ans inconsciemment, on prend déjà le parti de l'harmonie, qu'on désire voir tout emporter. On prend déjà le parti de l'idéalisation aux dépens du perfectionnisme. Comme on préfère écouter des chansons de trois minutes que des symphonies d'une heure.

"Femmes, je vous aime" est pour moi une des toutes meilleures chansons de Julien. Autant au niveau du message, que de la musique et de l'interprétation. J'écoutais une fois un best of à la borne d'une grande surface, et quand cette chanson arriva, des larmes me sont venues aux yeux, tout en regardant les gens du magasin, notamment de sexe féminin. C'est une impression curieuse que ce sentiment de vouloir parler intimement à une foule. De vouloir en quelque sorte embrasser l'humanité par delà l'individu, comme on se refuserait de choisir pour pouvoir aimer plus grand. Comme de prendre conscience que toute histoire pourrait être votre histoire, que chacune se vaut. C'est comparable à Orly de Brel sauf que Brel fait un zoom sur une de ces histoires, alors que Julien s'en éloigne pour regarder d'en haut, tout en gardant une sorte d'intime majesté, de confidence universelle. Son chant est sublime.

"Fernand" est une des dix meilleures chansons de Jacques Brel. Je ne crois pas qu'il y ait une autre chanson où Brel soit aussi direct, avec des mots aussi secs, pour donner à la réalité de son sentiment quelque chose d'intact, et donc susceptible de se briser ou rompre à tout moment. Il s'en prend directement à Dieu, ou plutôt le bon dieu, celui qu'on appelle en désespoir de cause comme on appelle à l'aide. Brel est à l'opposé du poète qui voudrait enjoliver, il vise la vérité, le drame, le coeur qui tremble ou vibre, car c'est comme ça qu'il se sent vivant. En prenant la douleur à bras le corps ("la réalité rugueuse à étreindre", disait Rimbaud), il lui rend justice et s'interroge. Brel est en révolte, apostrophe, prend à témoin, jette son désarroi, et ceci pour toucher à ce qui, pour lui, est sans prix: l'amitié, la tendresse. Mais curieusement, c'est dans le feu du tourment qu'il donne à cette tendresse un sens qu'on ne lui accorde habituellement pas avec tant d'intensité.

Quel timbre élégant...

Allons pleurer dans un coin...

Avant le succès de "Vélomoteur" en 1987, formidable chanson que j'adore, les Calamités, originaires de Beaune, étaient trois (sans compter le batteur). Elles avaient sorti un mini album en 1984, intitulé A bride abattue (à l'époque elles préféraient le cheval qui fait "cataclop cataclop"). Elles ne se sont retrouvées que deux quand Daniel Chenevez de Niagara les a rappelées, parce que la brune aux cheveux longs était partie vivre en Angleterre avec un membre des Barracudas (groupe de power pop anglais). Voici le trépidant et joli "Toutes les nuits".

J'ai souvent cet air dans la tête, et pourtant on ne peut pas dire que j'ai passé ma vie à l'écouter. Donc un jour je me suis dit "tiens, et si j'allais écouter cet air que j'ai souvent dans la tête - mon subconscient doit m'envoyer des messages que je me dois de consulter".

Et il se trouve que j'adore, effectivement. C'est une porte d'entrée dans un monde musical que je ne cultive pas, mais qui me paraît comme une clef, un emblème, tout en étant par ailleurs un classique de la chanson française (à l'année 1962).
Document ci-dessous lors d'un gala en 1968.

Je crois que son message dépasse le cadre de la musique. Je crois que c'est un message de fête, de Fête avec un grand F, à savoir une façon de vivre, de prendre la vie, de laisser derrière soi une trace de joie, et de savoir-vivre.

A l'heure où des français croient pouvoir canaliser ou organiser leurs vacances, leurs loisirs, et voir leur retraite comme unique opportunité de profiter de la vie, peut-être serait-il opportun de rappeler que les plus belles fêtes ne s'organisent pas, qu'il y a dans la Fête de la vie quelque chose qui se joue des conjectures, des impératifs, des devoirs. Qu'il y a sans cesse l'idée de perdre la tête, de s'étourdir, de prendre des tangentes impromptues. De se piquer de rêve, de garder à l'esprit la saveur du moment, du présent, sans projeter au loin quelque chose qu'il faudrait attendre.

Que l'on est mortel, et qu'offrir quelque chose de beau est peut-être plus important qu'offrir quelque chose de durable.

A un moment donné, des gens font le choix d'être heureux ou amoureux, sans se demander si l'état du monde est plus important, ou se soucier de ne rien parasiter. Si on exigeait à tout un chacun d'être sage, le monde serait bien ennuyeux, et plutôt pauvre en oeuvres d'art.

Marie-Flore chante William Sheller. Parfait!

Ma chanson préférée d'Amii Stewart. Un succès de 1981 un peu oublié aujourd'hui, à tort, car c'est un vrai bijou.

La classe absolue. Le blues. Du genre qui tangue, déambule et trébuche. Donne une idée d'humeur désoeuvrée. Les harmonies se disloquent. Le rythme cahote. La voix est géante, expressive, s'ouvre grand, vertigineuse, aventureuse. Le bassin se déhanche. Des parfums d'errance et d'audace envahissent la pièce. L'assistance semble entrechoquer quelques verres. Ainsi naît le blues. Atmosphère déliquescente. Toutes les failles, défaillances, s'éparpillent, comme pour élargir les papilles gustatives, naufrages échoués. Il ne reste plus qu'un écroulement. Un laisser-aller béant. Une authenticité qui vous avale.

Mon enchantement de la journée...

Ma complainte sur la nullité de la variété française qui se vend a dû être entendue, car je viens de découvrir toute une flopée de talents qui m'enchantent. J'ignore s'ils vendent beaucoup de disques, mais au moins j'y trouve ce que j'aime et je me sens moins seul...

Attention, si vous avez grandi dans les années 70 et 80, ce dernier morceau (ici en direct) peut vous ramener des souvenirs en pleine gueule!

En 69 Françoise changeait de label (au revoir Vogue) et négligea du coup de peaufiner des enregistrements laissés sur le côté. Deux inédits de cette année sortiront sur une compilation à venir début mars. Inachevés? Insatisfaisants? Pour moi, ça ne change rien, le charme et l'enchantement sont les mêmes, ces titres écrits, composés et chantés par Françoise sont habités par la grâce, le talent - j'éprouve la même chose en découvrant des inédits des Beatles, par exemple.

Ah, le girl group sound! Ah, Motown! Ah, les Supremes! Tellement classe, tellement chic.

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