Scènes de cinéma

Que voulez-vous, je ne me lasse pas de la regarder. Je dirais même plus: je ne me lasse pas de la voir. On ne peut regarder ce qui éblouit. sunny

Ici un reportage sur mon film préféré.

Quand on me demande quel est mon film préféré, ce qui n'est encore jamais arrivé, je réponds "Préparez vos mouchoirs". C'est donc une question que je me suis posée à moi-même au fil du temps, et à laquelle je me suis répondu régulièrement. Mon film préféré de tous les temps c'est "Préparez vos mouchoirs". En deuxième c'est "City Lights" de Chaplin. Après je sais pas. A une époque je mettais "Brazil" en 3ème, mais il faudrait que je le revoie, et je n'ai pas très envie de le revoir, donc ça déjà, c'est un signe: quand on n'a pas envie de revoir un truc, c'est que peut-être on sait déjà qu'on n'aime pas autant qu'avant. A l'inverse, quand on a une envie très vive de revoir un truc dont on n'était pas dingue avant, c'est le signe qu'on va probablement aimer beaucoup plus. Ceci veut dire qu'on est subconsciemment conscient de l'évolution de nos goûts. Un peu dans le même ordre d'idées qu'émettait Brel en comparant le talent à l'envie de manger un homard.

J'ai presque vu tous les films de Blier. Je n'ai jamais vu "Calmos" en entier mais déjà les scènes que j'ai vues sur YT me plaisent énormément. Il faut dire que Blier c'est un régal pour les acteurs, tout comme Audiard. Mon 2ème film préféré de Blier est "Buffet froid", et mon 3ème, c'est "La femme de mon pote". Blier a dit lui-même que ce dernier n'était pas son meilleur film, que ce n'était qu'une récréation. Moi c'est un film que j'adore, parce que cette atmosphère de chalet retiré dans la montagne me plaît beaucoup. J'ai eu la même sensation avec la caravane. Le chalet se retire comme une confidence, une alcôve. Le chalet c'est un peu l'alcôve de la montagne, et puis y'a la neige, et puis y'a Coluche, et puis y'a Isabelle Huppert, et puis y'a la liberté des individus, et l'amitié, et la petite larme d'Huppert à la fin qui est digne d'un film de Charlot. J'adore ce film. Je remercie Blier pour ses récréations!

Quant à Préparez vos mouchoirs, je ne sais pas par où commencer, j'aime tout. A commencer d'ailleurs par la qualité des images, de la photo comme on dit. Ces couleurs automnales donnent à cet environnement des années 70 un côté sépia, je ne sais pas comment Blier a su ainsi retranscrire un parfum d'aventure et de liberté par la couleur du décor, l'odeur des matières. Y'a des phrases comme "j'aime bien casser des cloisons, moi" - on sentirait presque l'odeur de la cloison quand il dit ça Depardieu, et je crois que l'esprit de ce film est un peu comme lorsqu'on bricole soi-même sa maison. Et puis la fin c'est quoi, ces deux compères qui s'en vont à petits pas dans le crépuscule, sur un trottoir de feuilles mortes, pour moi c'est Laurel et Hardy. C'est-à-dire une complicité de circonstance. Des mecs perdus dans une tourmente tempérée de la vie qui passe et au coeur de laquelle on ne sait que faire, car les temps changent et l'on n'y comprend rien. Tout ce qu'on fait c'est se laisser porter, ou lutter en vain, mais lutter en vain, c'est déjà vivre. C'est un dialogue, Blier. Un dialogue ou un monologue dialogué dans une existence qu'on traverse. Un dialogue de traverse. Et puis y'a le bruit de leurs pas, à ces types qui s'éloignent. Le bruit de ces pas est très doux, dans un silence total, comme un chuchotement. Ou alors c'est le silence qui suit Schubert. "C'est pas d'Mozart, ça - C'est d'qui, alors? - J'en sais rien, mais c'est pas d'Mozart".

Ouais, je suis peut-être aussi paumé que Dewaere, moi, avec ma collection de 4000 CDs dont j'envisage d'ouvrir un musée que ne visiterait personne.

Je suis devenu fan de Giulietta Masina en la découvrant l'année dernière, avec Les Nuits de Cabiria (1957), un film de Fellini diffusé à la télé. Ils ont aussi passé récemment La Strada (1954), du même Fellini, que je n'avais jamais vu non plus, et qui m'a confirmé à quel point j'adore Giulietta Masina. Je vois sur wikipedia que sa filmographie a commencé en 1946, elle avait donc déjà du métier.

Mais quel charme fou, et quelle belle âme que cette femme, qui jouait comme on le faisait au temps du muet, de tout son visage, concentrant en un regard, en un sourire, toute l'humanité du monde et toute l'innocence de l'humanité. Tant de candeur, tant de coeur, tant d'humilité, tant de simplicité... le jeu de cette femme me touche profondément.

C'est un petit bout de chou, une femme dans la tourmente de la vie, dans les intempéries, vulnérable et dévouée à sa destinée, dont l'âme et la candeur restent inaltérables. Giulietta Masina, c'est la poésie faite femme, ou la femme faite poésie. La voir jouer dans les films bohème de Fellini, c'est voir un enfant balloté dans des troupes de comédiens, de dépravés, le regard en prière face à des défilés chrétiens, le coeur et le corps tout en prière, comme une effigie de paraffine.

Giulietta Masina fut un miracle, un espoir bouleversant d'humanité fatale. Elle incarne le petit peuple, et un petit chat. Du Zola dans un tableau d'Ensor. Le merveilleux Anthony Quinn la laisse endormie en chien de fusil, non sans lui avoir laissé sa trompette, unique chant d'expression qui le détourna deux secondes de son indifférence d'épais bunker mal rasé. Il s'en remettra mal, inexplicablement rattrapé par un corps céleste, sa conscience peut-être, à genoux dans le sable mouillé de la nuit.

Pourquoi je mets pas ça dans la musique? Mais parce que c'est de l'art total, bien sûr! Qui pour ne pas voir que l'art de Brel est incarné, et qu'il ne s'agit plus de chanson? Ici la performance casse la baraque si vous voulez, explose le cadre, on est sur un chantier, sur un art chamboulé. C'est un ciel de cordes qui se tend derrière lui, comme une nuit d'orage, et la pluie est faite de ses gouttes de sueur. Même sa sueur c'est de l'art, car c'est le tableau d'une émotion brisée en morceaux, mais de ces brisures il produit toujours une structure bancale, gondolante, et le son de sa voix légèrement étouffée par la voûte boisée du théâtre, pourrait être celle d'un capitaine sur son bateau. Et malgré tout, au coeur du chaos, il trouve encore la rage de déchirer le désespoir d'un final "viens". Avec cette performance, Brel était au sommet de son art, lorsque le langage est au-delà des mots et des notes. C'est un langage que comprennent mieux les enfants, car ils ne sont pas encore rationnels. Et c'est pourquoi Brel fut ma première passion (je l'ai découvert vers mes dix, onze ans).

Vous pensez bien que je n'ai pas manqué de revoir Mélo d'Alain Resnais, que je n'avais vu qu'une fois il y a longtemps. J'ai dû mettre le volume à fond pour ne pas rater une miette des dialogues, des pauses, des respirations, car la star du film est son verbe. Je n'ai pas lu le livre, mais ce film extrêmement bien écrit est un délice en lui-même, servi par des comédiens hors pair. André Dussolier livre une performance des plus brillantes lorsqu'il se confie dans un dîner du soir en terrasse, de ces soirs doux où tout peut se confesser, se révéler. Milieu bourgeois, sans aucun doute, mais on se dit alors que ce genre de bourgeoisie est une bénédiction, et en effet, ce genre de film est devenu une rareté absolue en ces temps où le texte et les valeurs du verbe aussi mesurées que soutenues, se meurent. L'élégance française, le film utilisé comme un charme littéraire, tel que j'ai pu en voir par le passé, certains soirs de télévision irréels, propices aux aveux, aux soupirs, aux serments, avec des films de Bergman ou de certains réalisateurs américains distingués des années 50.

Et j'ai bien sûr revu ce film pour Sabine Azéma, qui se fait aussi rare que tout cela, significativement peut-être. Sabine toute saisie de frissons et d'effroi sur ce divan, que tente de réchauffer l'amant Dussolier. Habitée par le frisson, et laissant échapper toute l'alarme d'un amour qui, pour une fois, joue davantage d'elle qu'elle ne joue avec lui. Azéma qui incarne si bien le mystère féminin, son imprévisibilité qui fait corps avec la joie de vivre, car je crois, moi qui ne suis pas femme, je crois que la femme a une conscience plus aigüe de la fugacité, la précarité, la mortalité des choses - que l'on pense à "Dis quand reviendras-tu" de Barbara ou "Mon amie la rose" de Françoise Hardy. Chaque femme ne serait somme toute qu'une fleur qui sait que ses jours sont comptés, ou si elle ne le sait ("Si tu t'imagines..."), elle le pressent parce que son corps le lui imprime profondément, sanguinement, à fleur de peau du frisson à l'effroi.

Ce qui explique aussi pourquoi la femme fascine l'homme, pour ce que peut lui représenter l'apparition d'un bras sous un long gant, une mèche de cheveu, une rondeur de hanche, un parfum, une silhouette: tout participe de la révélation, la féerie, le printemps ou l'automne, le trésor de la vie.

Merci Alain Resnais. Est-ce qu'un cinéma est mort avec lui? En verra t-on d'autres, de ces films trop élégants et discrets pour qu'on en fasse cas aujourd'hui, en ces temps d'effarante vulgarité? Peut-être, mais pas sous les projecteurs d'un monde qui hurle et s'affiche.

Après tout, le clair de lune existe toujours.

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

(Paul Verlaine)

Magnifique angle d'histoire d'amour avec Vacances Romaines. J'ai découvert ce film l'autre jour sur Arte. Elégance, noblesse, sobriété. Quoi de plus poignant, et de plus beau peut-être, que lorsque cette histoire s'arrête aux premiers soupirs, comme projetant devant elle le mirage de ce qui ne peut arriver. L'avortement n'aura pas raison de l'illusion. La larme ne tombe pas, elle n'en a pas besoin. Tout le reste appartient au cinéaste, très justement servi par les acteurs.

Un film extrêmement original sur Arte en ce moment: Les petites marguerites, un film tchécoslovaque de 1966, version originale sous-titrée. La langue tchèque sonne exotique à mes oreilles, quelque part entre le finnois et le japonais. Les deux électrons libres du film, deux femmes qui se disent elles-mêmes dépravées, rient régulièrement comme des chèvres sous acide. Il y a des scènes hilarantes. Le film choqua évidemment, et la réalisatrice fut bannie par les autorités communistes pendant des années. Un classique de la nouvelle vague. J'ai personnellement été séduit par le charme des images, et la liberté incontrôlable de ces femmes, qui est au niveau de singes ou d'enfants de trois ans. On peut évoquer tour à tour Godard, Les Valseuses ou Boudu sauvé des eaux. En tout cas, c'est libre!

Scène surréaliste. Merci monsieur Blier, on dit. Et comment ne pas admirer Brigitte Fossey pour avoir osé jouer ça?

Par ailleurs, ce joli portrait / autoportrait rappelle combien Brigitte est une des plus charmantes femmes que la terre ait en son sein. Certaines photos d'elle dans ce documentaire sont d'une beauté stupéfiante. Son visage est d'une grâce, d'une pureté et d'une sensibilité célestes. Elle parle beaucoup de son enfance et ça ne m'étonne pas. Il y a dans son regard la vibration de l'enfance, quelque chose qui tremble, fragile, vulnérable et courageux à la fois.

» Scènes de théâtre
» La beauté du cinéma