La musique.

La pop, c'est la diffusion d'un enthousiasme par le truchement de sons, de chants, d'airs, c'est de la lumière, de la joie, de la vie, une vibration contagieuse. Les premiers Beatles, "Blue" des Jayhawks, des chansons de Mates of State ou l'immortel "Rainbows in the dark" de Tilly & the Wall.

Attention chef d'oeuvre...

Une nouvelle chanson de Jenifer Jackson, ici en direct d'Austin, le 4 juin dernier. Cette chanteuse originaire du New Jersey a enregistré quelques-uns des plus beaux disques du monde (Birds en 2001, Slowly bright en 1999...). Ce que j'en dis...

"J'ai fait 4000 chansons dans ma vie. Il y en a au moins 2000 qui ne valent rien, et 1000 pas grand chose. Ensuite 800 acceptables, 150 excellentes et enfin 50 qui ont fait le tour du monde et qui me plaisent. J'ai perdu mon temps en composant toutes les autres, mais si je n'en avais pas écrit 4000, je n'aurais pas écrit celles là..." - Vincent Scotto (compositeur de "J'ai deux amours").

Pour moi il est clair que ce "Noyé assassiné" de 1954 a fortement inspiré Gainsbourg pour son "Poinçonneur des Lilas" (paru en 1958). De très troublantes similitudes de ton, de situation, d'atmosphère, de dynamique et de prosodie...

Une chanson très baudelairienne de monsieur Moustaki.

Ce titre des Kalin Twins, "When", fut numéro 1 en France de septembre à décembre 1958. C'est un des titres qui a lancé le mouvement twist et yéyé en France, sans aucun doute. Il fut repris aussitôt par Danyel Gérard sur son premier 45t dès la fin de l'année.

Je n'avais jamais remarqué combien le québecois Daniel Lanois avait probablement inspiré le canadien Ron Sexsmith.

Si vous trouvez que ce truc de Sheila n'est qu'une ringardise kitsch, une cacophonie indigeste où elle ne fait que chanter faux, vous vous égarez. C'est en vérité incroyable de lumière, d'audace harmonique et de folie. Sheila fut épatante.

Le concept des "portes d'entrée": que signifie "être fan" d'un artiste? C'est se sentir une adhésion, un parti pris, un peu comme vouloir que le rêve devienne réalité, simplement parce que l'artiste a laissé entrevoir ce rêve de par sa propre implication, son propre dévouement, sa vision, ses sensations. Tous, nous avons des difficultés à comprendre, admettre, la valeur de certains artistes universellement admirés, ce qui ne signifie pas que cette valeur est incontestable, car tout peut être contesté, et critiqué. Mais il faut tout au moins essayer de comprendre et se dispenser d'arrogance ou de dédain, surtout lorsque cette arrogance peut reposer sur la paresse ou l'ignorance.

Il y a dans la chanson française populaire des "monuments" auxquels j'ai peu souvent accès, que je ne parviens pas à aimer ou comprendre vraiment, sans détester pour autant. Je peux vous citer Claude François ou Johnny Hallyday. Peut-être que des gens ne peuvent pas comprendre qu'on puisse ne pas "aimer" Claude François ou Johnny Hallyday, parce qu'ils ont été conquis depuis longtemps. Je peux comprendre ça - par exemple, moi je comprends mal qu'on puisse ne pas aimer Brassens ou Barbara. Et puis, encore une fois, "ne pas aimer", ne signifie pas "détester" ni "rejeter". C'est plutôt "ne pas comprendre" ou "ne pas réussir à aimer". C'est aussi avoir des doutes sur la légitimité d'avoir à aimer ce qu'on ne sait pas aimer.

Le fait est qu'on peut vivre sans aimer certaines choses, mais il est aussi certain que savoir aimer des choses auxquelles on n'a pas un accès aisé, est une gratification. Dans mon existence, à chaque fois que j'ai réussi à aimer quelque chose, je me suis senti beaucoup mieux, plus ouvert d'esprit, plus humain, plus apaisé. Peut-être êtes-vous comme moi, lorsque vous ne comprenez pas ou n'aimez pas quelque chose, vous vous trouvez dans un état d'incertitude, d'inconfort. L'incompréhension n'est pas apaisante.

Evidemment, il est bien pire de se ranger à un consensus par principe lorsqu'on n'y comprend toujours rien. Je ne suis toujours pas de ceux qui donneront raison à la foule, entendons-nous bien. Il faut rester individuel, rester sain dans ses approches. Ceci commence par rester curieux. Rien de plus facile en ce qui concerne la musique, lorsqu'on aime la musique. Je ne fais aucun effort dans ce domaine, mais je peux me montrer très obstiné lorsque j'essaie de comprendre quelque chose, ou de cerner un phénomène.

Je n'ai toujours pas trouvé de porte d'entrée pour Céline Dion. Je le dis avec tout le respect du monde pour cette chanteuse universellement admirée. Mais je peux suggérer des portes d'entrée pour Claude François ou Johnny Hallyday. Il faut dire que les portes sont nombreuses, l'auberge espagnole fait plusieurs hectares. Ces deux idoles assoiffées de succès, ou accro au succès, ou portant sur leurs épaules (ou leurs jambes) le poids du succès et tâchant constamment d'être à la hauteur par une espèce d'éthique ou de conscience ou de reconnaissance pour le public, furent extrêmement productives et caracolèrent dans les charts sans prendre le temps de respirer, à moins que cela fut leur respiration justement.

Il faut s'accorder le droit de ne pas aimer quelque chose pour mieux comprendre sa valeur. Aimer d'entrée, peut nuire à la clairvoyance. Comprendre la valeur d'un Claude François, c'est comprendre que le personnage s'est fait tout seul, avec sa propre vision des choses. C'est comprendre qu'il aime la danse, qu'il fait une musique de danse (pas seulement, mais surtout). C'est comprendre qu'il met en avant le spectacle. C'est comprendre qu'il portait certainement James Brown aux nues, adorait Motown, et aurait probablement aimé Michael Jackson s'il ne s'était improvisé électricien.

En 1966, Claude François va définitivement se tourner vers une radicalisation du spectacle de danse, et imposer sa griffe. Il dansait déjà comme un pantin désarticulé, il a peaufiné le truc. Ses danseuses auront une certaine tenue avant la sexualisation des seventies (le string à paillettes est-il de bon goût? c'est un autre débat - à l'heure du disco, les circonstances sont atténuantes). Dans les sixties, il est encore classe, Cloclo. Il s'oriente vers une intensité accrue, hypnotique, et une cacophonie harmonieuse. Il fait presque oeuvre d'esthète. Et Johnny, qui reste quand même une auberge espagnole en reprenant "Hey Joe" ou "San Francisco", oeuvre de même (ainsi que son épouse Sylvie), mais bien sûr pas vers la danse (ou alors une sorte de funk musclé), plutôt le psychédélisme et le rock à saxophones. Les Frenchies seront si intéressants en proposant leurs propres compositions.

Mis à part quelques ballades deci delà (dont le fameux "Comme d'habitude", excusez du peu), Claude François fait du Motown à la française, en créant son label Flèche. Avec les succès "J'attendrai", "Mais quand le matin", "Pardon", "Jacques a dit" et "Reste", il donne le ton. Quand on le voit débouler, on sait déjà que les planches vont trembler sous les pas de danse. Ce n'est pas le rythme de bal de Chantal Goya ou Joe Dassin: c'est du brut, du fiévreux, du travail acharné. Cette intensité aura une fin, peut-être avec l'avènement des strings et des paillettes, lorsque les Clodettes ressembleront davantage à un harem conçu par Playboy qu'à un quatuor axé sur une frénésie saccadée.

Ma porte d'entrée sur Claude François: "Reste", au sommet des charts en février 69. Culmination?

J'ignore pourquoi on oublie souvent de mentionner "Skinny Jim" parmi les premières pierres du rock. Ce 45t d'Eddie Cochran sortit en 1956, bien avant tous ses autres classiques.

Le temps de quelques minutes, croire au pouvoir du plus éloquent message de paix...

Dire qu'il se trouve peut-être des andouilles incapables de distinguer la poésie de ces flonflons avec "Viens boire un p'tit coup à la maison" de Licence IV....

Il me semble parfois que mon sang coule à flots
Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots ;
Je l'entends bien qui coule avec un long murmure
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

Baudelaire

En 1937, Fréhel atteignait le sommet de son art en laissant sa mélancolie couler dans le tendre flot de l'accordéon.

Je hoquette, tu hoquettes, nous hoquetons.

I'm no long fattening frogs for snakes: je n'engraisse plus les grenouilles pour les serpents.

Quand la bluette sort de l'église... le chant s'exile et s'élève.

Oh yeah.

Excusez-moi, je pleure. J'aimais cette femme.

"Deux sous d'violettes" est une chanson créée par Anny Flore en 1951. On ne m'en voudra pas de lui préférer la version d'Arletty. Plus inimitable qu'Arletty, tu meurs... Comment exprimer pour tant d'authenticité notre admiration infinie?

Le phonoscène, scopitone de la Belle Epoque (à cheval sur deux siècles puisque c'était l'époque des fiacres), permet d'avoir une idée de ce que fut Félix Mayol sur scène. "La Polka des trottins", ici un enregistrement de 1905, est étrangement entêtante. Vieil air qui ne nous dit rien et nous parle en même temps. Sans doute parce que toute expression humaine est en nous, toute d'autrui et d'un temps révolu qu'elle puisse être, ce dont je n'ai jamais douté.

Porte d'entrée numéro 2: "If I had a hammer".

Si comme moi vous vous êtes toujours demandé ce qu'on pouvait trouver à "Si j'avais un marteau", la scie qu'on nous a infligée durant une partie des années 60 (je m'en souviens très bien, je n'étais pas né), chantée par les Surfs ou Claude François et bien d'autres, remerciez-moi d'avance, je suis là pour vous aider. Certes, cette chanson est la reprise d'une chanson traditionnelle du folk américain, chantée par Pete Seeger, Peter Paul & Mary et d'autres - et cet original n'est pas plus excitant pour autant. Non, ce qu'il faut savoir, c'est que Trini Lopez eut le petit coup de génie d'en faire un truc accrocheur genre Buddy Holly hispanisant, avec guitare électrique, et c'est SA version qui est un classique à connaître des années 60. Je ne connais pas l'oeuvre de Trini Lopez, mais si on m'apprenait qu'il n'est connu que pour ça, je n'en serais pas surpris. Si ma mémoire ne me fait pas défaut, Trini Lopez fut à l'affiche de l'Olympia avec Sylvie Vartan et les Beatles, exactement grâce à ce coup de génie qui fit fureur. Et il est raisonnable de penser que les reprises des Surfs ou de Claude François n'en furent pas (des coups de génie). En fait, édulcorer un coup de génie, c'est grave: ça vous fait penser pendant trente ans qu'une chanson est nulle si vous ne connaissez pas la bonne version, la seule qu'il faille connaître. Rendez service aux oreilles de l'humanité: faites passer.

Autre tube de 1963. Very Happy

"Comme au premier jour" rime avec "abat-jour"... que rappelle furieusement la robe de Jacqueline.

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